Pas de management sans émotions…

En accompagnant les managers, nous sommes souvent confrontés à une croyance qui a la vie dure, celle selon laquelle les émotions sont mauvaises, interdites, et donc à bannir de l’environnement professionnel. Certains managers se targuent ainsi de faire fi de tout ressenti dans la manière de gérer leurs équipes et considèrent les émotions comme une matière impalpable, un peu triviale et surtout hautement dangereuse en dehors de la sphère privée ! Pour beaucoup, émotion va souvent avec faiblesse dans la représentation qu’ils se font du « chef ».

Ceux-ci opposent à la subjectivité des émotions, l’objectivité des faits, seul terrain acceptable pour eux dans une saine relation de travail.

Mais qu’est-ce qu’une émotion, si elle n’est pas un fait ?

Si un collaborateur réagit avec colère lors d’un échange avec son manager, on peut considérer qu’il a tort d’exprimer cette émotion ; on peut éventuellement le lui reprocher ; mais sa colère reste bel et bien un fait ! Le collaborateur la ressent, le manager la perçoit, et il serait bon de faire comme si elle n’existait pas ? Un fait subjectif (qui dépend du sujet) n’en est pas moins un fait !

Considérer les émotions pour ce qu’elles sont, plutôt que de les nier, c’est en réalité enrichir la base de connaissance de ce qui se passe, et donc les leviers sur lesquels le manager peut jouer pour remplir efficacement son rôle.

Il est vrai que le phénomène de financiarisation des organisations ne va pas dans ce sens. Il crée un système qui incite les collaborateurs à se focaliser sur des objectifs quantitatifs et mesurables ; il exige par là même des managers qu’ils s’inscrivent dans un contrôle permanent de l’atteinte ou non de ces objectifs et qu’ils en fassent le critère unique de pilotage de leur équipe.

Ce système a le mérite d’être simple, mais est-il de manière efficace au service de la performance globale de l’organisation ?

Il sous-entend que les individus sont mus principalement par des facteurs rationnels (objectifs, résultats, rémunération, etc.). Ceux qui atteignent les objectifs sont bons et seront récompensés dans le meilleure des cas par une carotte financière ; ceux qui n’atteignent pas les objectifs sont mauvais et seront sanctionnés financièrement et / ou en matière d’évolution professionnelle.

Il suffit de regarder comment ont été menées les grandes conquêtes de l’humanité pour s’apercevoir que le moteur des explorateurs a rarement été la recherche d’une récompense matérielle. Il n’y avait pas d’argent en jeu pour les hommes qui ont conquis l’Everest… C’est l’émotion qui est au cœur de l’exploit : le dépassement de soi, la curiosité, l’envie de découverte, la liberté, la fierté !

« L’ensemble de ce qui se compte ne peut pas être compté et l’ensemble de ce qui peut être compté ne compte pas. » Einstein

En réalité, les leviers de motivation « objectifs » n’interviennent que pour 10 à 20% de la mise en action des individus. Si bien qu’un manager qui négligerait les émotions, ne managerait que 10 à 20% de ses collaborateurs… on voit bien que si l’on souhaite réellement agir sur la performance, il faut dépasser la croyance, et s’attacher à gérer les individus dans leur globalité.

Cela étant dit, il reste vrai qu’appréhender les émotions, les siennes, comme celles des autres, demeure un exercice délicat. Un exercice auquel les managers sont souvent peu, voire pas du tout, préparés.

Pour utiliser les émotions à bon escient, il faut avant tout se mettre en condition pour les percevoir. Le manager qui reste enfermé dans son bureau du matin au soir, souvent sous prétexte qu’il est surchargé, n’a aucune chance d’y parvenir.

C’est là qu’il faut damer le pion à une autre croyance : celle selon laquelle passer du temps à créer et entretenir une relation au quotidien avec son équipe, et non uniquement en cas de problème, ce n’est pas vraiment travailler… Car cela fait intrinsèquement partie du rôle du manager ! Rappelons-nous les 80% de l’individu que l’on laisse de côté sans cela !

On peut regrouper les émotions en deux grandes catégories :

    • Celles qui fonctionnent comme un frein : la principale étant la peur,
    • Celles qui fonctionnent comme un moteur : la principale étant le plaisir.
    • La peur, utile à la préservation, déclenche la mise en éveil des sens et la capacité d’analyse du danger. Signal d’alerte indispensable, elle favorise chez l’individu l’imagination de stratégies pour réduire le risque. Mais une surdose de peur devient à contrario paralysante ; ainsi, le management par la peur conduit-il à inhiber toutes initiatives, celles qui mènent à la réussite tout comme celles qui évitent le danger !

Le plaisir quant à lui existe pour donner envie à l’Homme de reproduire des comportements ou des actions. Si l’on souhaite diffuser efficacement des pratiques jugées bonnes pour le collectif, il faut que chacun à titre individuel en ait envie, donc qu’il y trouve une certaine forme de plaisir (accomplissement de soi, reconnaissance d’autrui, etc.).

Le bon manager doit savoir utiliser efficacement tout l’éventail de ces émotions pour faire fonctionner son équipe. Mais avant tout, il doit apprendre à les repérer (il se passe quelque-chose) et à les analyser de manière juste (que se passe-t-il exactement ?).

Le piège classique est celui de l’interprétation de la nature de l’émotion chez l’autre. Un froncement de sourcil : signe de désaccord !… ou de concentration ?

Chaque individu peut réagir de bien des manières à une même situation. Calquer sur autrui ses propres émotions, ses zones de confort ou d’inconfort, sans prendre la peine de l’interroger sur ce qu’il ressent réellement, peut ainsi conduire à de graves erreurs. Le risque, dans le meilleur des cas, est de passer à côté de la situation ; dans le pire, de donner à l’autre le sentiment d’être « violé » : exiger d’un ultra timide de se lancer dans un discours en public sans préparation, s’apparente à l’obliger à sauter dans le vide sans élastique…

Manager par les émotions exige une capacité de recul et une ouverture pour comprendre ce qui est réellement en train de se passer (envie, peur,…) et l’utiliser pour mobiliser au mieux tout le potentiel de ses collaborateurs.

Et si le leadership, souvent plébiscité dans les entreprises comme la compétence clé du management, n’était autre que cette capacité à faire émerger dans une équipe : enthousiasme, envie d’aller de l’avant et de réussir ensemble ?

Le leader d’aujourd’hui serait finalement un virtuose dans l’art de manager les émotions…

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